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Déshumanisation systémique

  • Photo du rédacteur: Anne Lapierre Doula
    Anne Lapierre Doula
  • 4 nov.
  • 5 min de lecture

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Ma clientèle est souvent représentée d’une part par les nouveaux parents, d’une autre

par les parents de 2e ou 3e bébé qui veulent faire les choses autrement.

Lors des rencontres de préparation, nous abordons les processus physiologiques de la naissance et les options qui s’offrent à eux. On procède à l’écriture des souhaits de naissance comme outils ultime de communication avec les équipes soignantes qui seront présentent avec nous le jour J. Après quelques années de pratique de l’accompagnement, je vois de plus en plus une différence entre les souhaits de naissances de ces deux clientèles.


Lors d’une première grossesse, les parents écriront : « Merci de vous adresser à mon conjoint et ma doula pour me permettre de rester dans ma bulle. J’aimerais qu’on respecte les processus physiologiques et qu’on parle à voix basse, qu’on ferme la lumière, etc. » Un résumé de ce qui est le plus important pour eux, à partir de nos discussions et réflexions.


Pour une deuxième grossesse, les souhaits de grossesse commencent souvent de façon plus spécifique avec une liste des irritants qu’il y a eu lors du premier accouchement. « L’infirmière me faisait mal quand elle tentait de replacer le moniteur, ça me déconcentrait de ma respiration. Je veux écrire de m’écouter si je demande de le retirer ou de faire des pauses ! » ou « J’ai eu l’impression que tout le monde comprenait que mon bébé n’allait pas bien, sauf moi. J’aimerais ça indiquer de me tenir au courant de ce qui se passe à mesure pour que je puisse faire des choix différents ». Ce ne sont pas des exemples anecdotiques, on parle ici de la grande majorité de mes clientes dans les dernières années. Si on avait à résumer leurs propos, ça reviendrait pas mal à ceci : « J’aimerais qu’on me traite comme une adulte intelligente et capable de décider pour elle-même ». 


Est-ce qu’il y a une manière d’écrire ça sur des souhaits de naissance sans que ce soit trop frontal et mal perçu par l’équipe de soins?

Ah pi merde, on le fait.

En espérant que tout le monde mette son égo de côté et comprenne l’essentiel.


Cette phrase toute simple signifie que ces femmes se sentent infantilisées, stupides et sans voix. Déshumanisées dans leur expérience d’accouchement.

Et ce malgré les bonnes intentions et le soutien individuel des infirmières et des médecins.


Il faut d’abord comprendre que la déshumanisation médicale est systémique.


Il doit être excessivement rare qu’un médecin ou une infirmière se lève en se disant « Allez, aujourd’hui j’adopterai une attitude déshumanisante ! ». Je considère que chaque professionnel de la santé occupe ce rôle par amour et passion profonde pour les humains.

D’ailleurs, la relation d’aide et les soins holistiques font partie des formation reçues dans le parcours scolaire des soignants. (Je le sais, je les ai suivis !) C’est une vision globale de la santé qui prend en compte la personne, son entourage et son vécu dans chaque situation de soin.


Donc, comme je disais, les soignants comprennent en théorie ces principes et tentent des les appliquer au mieux dans leur pratique.

Du moins, jusqu’à ce qu’ils intègrent le système de santé. On entend souvent parler du clash entre la théorie médicale et le milieu de pratique. Un épuisement d’entrée de jeu, à essayer de réellement prendre le temps qu’il faudrait avec chaque patient ou d’adapter chaque protocole à la situation unique de la personne devant nous. Puis une résignation (parfois inconsciente) à être efficace, en sacrifiant ce qu’il faut pour passer au travers une charge de travail démesurée. Parfois, l’humain reprend le dessus – l’intention de prendre soin et d’être 100% présent triomphe. S’ensuit souvent le poids administratif de faire du temps supplémentaire pour terminer les notes médico-légales, contribuant à l’épuisement professionnel et à la perte de sens dans la pratique de ces soignants.

 

Le 23 octobre 2025, j’ai suivi la formation « Spiritualité et humanisation – Enjeux dans les milieux de soin ». Guy Jobin, professeur de théologie morale et d’éthique à l’université Laval, nous expliquait que plusieurs recherches sur les enjeux éthiques nomment les causes principales de la déshumanisation médicale comme étant ; Le sous-financement du système de santé, la bureaucratisation des processus administratifs, la recherche d’efficience et d’efficacité comme priorité et la pénurie ou surutilisation du personnel qualifié.

On ajoute par-dessus ça un apprentissage par mimétisme d’attitude déshumanisante dans les équipes, c’est-à-dire que malgré le désir de faire autrement, la perception patriarcale que les patients ne comprennent pas assez la médecine pour faire des choix judicieux pour leur santé est intégrée subconsciemment par les soignants. Comme par osmose avec les collègues issus de ce paradigme archaïque.

Puis, finalement, une déshumanisation animalistique inhérente au contexte d’accouchement. C’est-à-dire qu’on se donne le droit de nier à l’autre ses droits si elle ne correspond plus aux caractéristiques qui mettent l’humanité à part des animaux (raffinement, contrôle de soi, parole, rationalité). On garderait donc malgré nous une trace de cette perception qu’une femme en travail, nue, qui grogne et qui ne communique plus avec des mots n’est plus sensible ou même assez rationnelle pour prendre une décision pour elle-même. On se permet donc de décider pour elle, de prioriser notre vision sur la sienne. Ce contexte est celui dont je suis témoin en salle de naissance depuis 2019, celui qui m’inquiète autant pour les personnes qui donneront naissance que pour les infirmières et médecins qui s’épuisent et sacrifient une partie d’eux-mêmes pour continuer à œuvrer dans ces conditions.


Le lendemain, 24 octobre 2025, la loi 2 est adopté sous bâillon.


Bout de viarge. (Excusez la vulgarité).

 

L’humanisation des soins passe par l’humanisation des conditions de travail. Comment peut-on s’attendre à autre chose? Ainsi lorsque je pointe du doigt les failles du système, sachez que ce ne sont pas les professionnels de la santé que je pointe, mais beaucoup plus haut. Je pointe ceux qui on un réel pouvoir de changer les choses et qui décide de les déshumaniser.

Je porte un regard extérieur sur cette situation et j’anticipe les répercussions sur la santé mentale de nos soignants, sur la perte de sens de cette pratique ancrée dans les soins humains. J’anticipe aussi l’impact profond sur la qualité de présence et de soins dont les familles bénéficieront. Dommage collatéral d’un système qui brise sous nos yeux.


Ma confiance s’ancre de plus en plus dans une conviction en l’impact réel de l’accompagnement doula comme facteur de protection contre la déshumanisation systémique, ou du moins ses répercussions sur l’expérience des parents qui ont fait le choix d’être accompagnés.

C'est aussi ce qui ressort dans les études sur l'accompagnement continu par une personne non-médicale en contexte de naissance (Ellen D Hodnett 1, Simon Gates, G Justus Hofmeyr, Carol Sakala, Continuous support for women during childbirth. 2017.)


L’accompagnement doula comme propulseur pour sentir qu’on nous respecte vraiment dans des conditions de naissances fragiles et négligées par le système.

Comme remède individuel à un système de santé malade.

 
 
 

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